Chroniques

Une Vie après la vie

Par Denis Gauthier et Pierre Brulé

Chroniques

11 octobre 2023

Crédit photo : Etienne Boulanger  / Unsplash

L’abbé Charles-Eugène Plourde (1933-2015) avait imaginé un dialogue fascinant entre deux jumeaux possédant une conscience réflexive dans le monde utérin. Leur dialogue porte essentiellement sur le changement et sur la possibilité d’une vie après la vie :

 

– Écoute, ça commence à être étroit ici! Je n’arrive plus à bouger. Tu es devenu trop grand.

– Mais non, c’est toi qui es trop grand! Moi, je suis plutôt mince!

– Arrête de te moquer de moi! Cela ne mène à rien. As-tu une idée de ce qui nous attend? Moi, je n’en sais rien!

– Tu ne crois pas qu’il y ait une vie en sortant d’ici?

– Une vie après la naissance, tu y crois toi?

– Mais bien sûr que oui. C’est le but de notre vie ici. Il nous faut grandir et nous préparer pour devenir assez forts pour l’accouchement et pour la vie après la naissance.

– Tu es fou? C’est complètement absurde ça, une vie après la naissance. Et ça se passerait comment, là-bas?

– Je ne sais pas trop. Mais, de toute façon, ça serait plus lumineux qu’ici. Et peut-être que nous serions capables de marcher et même de manger par la bouche, et tout le reste.

– Ouah… quelle bêtise! Manger par la bouche. Bizarre comme idée! Nous avons un cordon ombilical qui nous nourrit. Mais marcher avec ça, ça n’a pas de bon sens! Ce cordon est trop court pour que nous puissions nous promener avec.

– Évidemment, il y aura des différences. Mais, cela sera pour le mieux… Imagine, quand nous aurons la capacité d’aller et de venir au gré de nos désirs, de voir et de manger de belles et bonnes choses avec liberté.

– Mais personne n’est revenu de là-bas pour nous en parler! Tu as bien compris ça? Personne! Donc, la vie se termine à la naissance. D’ailleurs, je trouve que notre vie présente est déjà assez douloureuse et assez sombre, merci.

– Même si je ne sais pas trop comment cela se passe après la naissance, moi, j’ai hâte d’entrer dans cette vie et j’ai surtout hâte de voir notre mère!

– Notre mère? Tu y crois toi? Elle est où, notre mère?

– Notre mère, elle est ici. Elle est partout autour de nous ! Sans elle, on ne pourrait même pas exister ni vivre!

– Je n’ai jamais remarqué la présence d’une mère. Si tu veux mon point de vue, elle n’existe pas! Tu imagines des choses!

– Mais si, elle existe. De temps en temps, quand nous sommes tranquilles, j’entends une voix qui semble lointaine, mais qui, en même temps, est très proche de nous. Moi, je crois qu’on la verra un jour. J’ai hâte de la connaître! Je suis sûr qu’elle nous aime beaucoup. Elle touche souvent son ventre en disant : «Je vous aime, mes trésors».

 

La dialectique

 

C’est très intéressant, cet exercice dialectique qui fait un parallèle entre la vie dans l’utérus et la vie sur terre. La dialectique est une méthode de raisonnement qui s’enracine dans le dialogue entre deux interlocuteurs ayant des idées différentes et cherchant à se convaincre mutuellement. C’est une manière de dialoguer, de converser en progressant d’une idée à l’autre, la suivante étant nécessairement plus pertinente que la précédente.

Elle occupe une place importante dans les philosophies occidentales et orientales, car c’est une méthode qui vise la progression d’un processus de réflexion sous le signe de la logique. Avec la dialectique, nous formulons des thèses et des antithèses pour arriver à une synthèse. C’est soutenir deux points de vue opposés pour atteindre une position plus complète de la réalité.

Le dialogue entre les jumeaux, qui est une quête de sens par rapport à un changement, peut être analysé autant d’un point de vue théologique que philosophique. Ils ne sont pas encore nés, mais ils se posent déjà des questions existentielles analogues à celles que les humains formulent lorsqu’ils se retrouvent face à leur mort et qu’ils considèrent la possibilité d’une vie après la vie. L’un des jumeaux confronte le point de vue de son frère pour l’aider à clarifier sa position dans un esprit de bienveillance, et non pour le démolir avec ses arguments.

La dialectique s’inspire de la maïeutique de Socrate. La maïeutique dérive du grec ancien maieutikế, qui fait référence à Maïa, déesse de l’accouchement et des sages-femmes. Socrate, philosophe grec du Vᵉ siècle avant Jésus-Christ, soutenait que chacun porte en soi le savoir et la connaissance sans en avoir conscience. Selon lui, il suffisait de pratiquer l’art du questionnement ou l’art de «l’accouchement des idées». Pour sa part, son élève, Platon, s’en est inspiré pour créer sa dialectique platonicienne, laquelle repose sur la confrontation de plusieurs positions de manière à dépasser l’opinion en vue de parvenir à la vérité.

Ainsi, comme les deux jumeaux qui se questionnent sur la fin inéluctable de leur parcours dans l’univers utérin, nous devrions entrer en dialogue avec nous-mêmes et nos prochains pour tenter de trouver des réponses au voyage qu’est notre vie sur terre et comment nous préparer pour la vraie Vie, aux côtes de Dieu.

À PROPOS DE DENIS GAUTHIER ET PIERRE BRULÉ

Denis est philosophe et Pierre, psychologue. Tous les deux sont détenteurs d’un MBA des universités québécoises. Ils se sont connus durant un cours en philosophie à l’Université du Québec à Trois-Rivières et ils ont co-écrit le livre Se voir autrement. La conscience et son pouvoir. Aimant la nature, l’humain et les défis, ils se sont lancé dans l’aventure d’écrire ensemble cette chronique spirituelle. Pierre est décédé en août 2023. Les textes qu’il a écrit avec Denis continueront à être publiés.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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